LE DERNIER AMANT DE CATHERINE LA GRANDE

texte de Jean-Marc Tournois

La tsarine ordonna qu’on l’introduisît 

Lorsqu’elle le vit entrer dans sa chambre, elle fut surprise de n’avoir pas affaire à un vieillard tant on lui avait vanté ses mérites et son savoir-faire.

 

C’est un grand jeune homme athlétique qui se courba devant elle, fort intimidé.

 

«  Tu es Paul ?

- Oui Majesté, répondit Paul, surpris d’entendre sa propre voix chargée d’émotion.

- Approche ! »

 

L’ordre était ferme mais Paul sentit une nuance de bienveillance qui l’aida à rejoindre sa Majesté. 

Elle congédia femme de chambre et majordome et désigna à Paul une grande duchesse très Louis XV où s’asseoir, face à l’impériale couche.

En souveraine attentionnée, elle vint l’assurer de sa protection rapprochée.

 

«  Sais-tu pourquoi je t’ai fait venir, demanda-t-elle au jeune homme.

- Je…non Majesté…bredouilla celui-ci.

- Modeste avec ça ! asséna la tsarine. On m’a dit que tu étais le plus talentueux sculpteur de toutes mes Russies, et je te prie d’oublier cette modestie castratrice dont la réductrice emprise pourrait diminuer notre entretien d’un intérêt que je soupçonne majeur, et assombrir définitivement ton horizon. »

 

La réaction de Paul ne se fit pas attendre ; certes sa rayonnante jeunesse altérait souvent le jugement d’un tiers quant à ses compétences, mais la reconnaissance par ses pairs l’avait, à ce jour, assis au côté de la tsarine.

 

«  Majesté, la profession que j’honore considère que j’en suis un éminent élément, et la reconnaissance par mes pairs…

- Je me demande si  je ne te préférais pas modeste ! » coupa net la souveraine.

 

Le charme de Catherine ainsi que sa beauté envahissaient le jeune homme en qui s’installait une troublante admiration.

L’autorité naturelle de l’immense tsarine déposséda Paul de toute velléité de repli lorsque, d’un geste sûr mais délicat, elle entreprit de le dévêtir, bien décidée à mesurer le grand talent de l’artisan à sa capacité à se tenir droit en toutes circonstances.

Ce qu’elle découvrit lui aiguisa les sens, et s’agenouillant devant Paul elle engloutit l’objet de ses vœux, serrant, mordillant, jusqu’à déclencher chez le jeune homme, peu habitué à une telle voracité à son encontre, un irrépressible bouillonnement de tous ses sens en alerte.

Tout ce qui couvrait encore les amants fut écarté en un quatre-mains virtuose, arrachant au passage à l’une comme à l’autre de douces plaintes.

Le royal séant maintes fois honoré par l’outil du sculpteur s’épanouissait à vue ; l’impériale poitrine gonflait ses galbes généreux en pointant vers les cieux leurs raides aiguillons.

Sur le grand lit carré drapé d’or et de blanc, les amants s’apaisaient.

Catherine sursauta, enfourcha Paul allongé sur le dos.

 

«  Je pourrais te remercier mon ami pour de si bon moments, mais l’impériale jouissance vaut plus qu’un grand merci.

Tu vas, à ma demande, orner de tels fauteuils qu’à la vue de tes œuvres, au toucher de leurs formes, y trouver le plaisir ne sera que doux euphémisme pour narrer la jouissance que j’espère y puiser. »

 

Paul écoutait, flatté que son art eût pu inspirer de si nobles propos.

 

«  Tu connais maintenant la moindre de mes formes, de tes yeux parcourues ainsi que de toutes tes sensibles terminaisons.

Je serai la muse de tes souvenirs. De tes mains délicates,   tu travailleras vite, et la moindre caresse accordée au décor, me paieras au centuple.»

 

Paul, tout ragaillardi par ces belles paroles, renversa la tsarine callipyge et bravant sa Grandeur à genoux sur le lit, la retourna pour l’admirer de dos.

«  Votre majesté est ainsi faite que vos ordres les plus fermes raffermissent mon sens du devoir. »

 

Catherine saisit sa raideur à deux mains et s’en combla  les reins.

Elle haletait au rythme imposé par Paul.

Quand le plaisir les submergea, elle cria :

 

«  Paul, ton sens du devoir est divin !

- Les formes de votre Règne sont sublimes, hoqueta Paul.

- Cher ami, ne me déçois pas. »

 

Lorsque Paul s’éveilla, il était seul, le soleil haut dans le ciel ; il s’habilla promptement et trouva sur son  pourpoint une bourse remplie d’or avec ce petit mot : « Ne me déçois pas ».

Le cœur léger il se mit en chemin pour son atelier.

 

La grande bâtisse où Paul s’adonnait à sa passion était faite d’une charpente porteuse en bois, couverte de tuileaux de mélèze fendus.

Les murs en bardage de bois résineux offraient de larges ouvertures, laissant entrer la lumière du jour à travers des vitraux de verre incolore, sans motif, aux cloisonnements de plomb, qu’il avait acquis en sculptant pour l’église, sa principale source de travail.

Il excellait dans la représentation religieuse de toutes sortes de saints et de saintes, mais sa spécialité était le travail de l’anatomie.

Le corps humain n’avait pour lui aucun secret, et la fantaisie des mouvements et des postures qu’il donnait à ses statues lui avait valu sa réputation de sculpteur hors du commun.

 

Il dessina pour les garder intactes les formes de Catherine : son corps bien proportionné, son visage volontaire, sa coiffure rehaussée de perles, ses seins presque lourds bien que très fermes, ses fesses hautes et rondes, et ses hanches si particulières, ses épaules douces et arrondies, ses pieds de reine, ses mains si habiles…

Rien n’échappait à Paul, il savourait ses souvenirs comme un enfant l’aurait fait d’une gâterie sucrée.

 

Les croquis s’amoncelaient, s’organisaient entre eux, et chaque repli de l’impériale nudité était révélé par la mine de plomb en traits subtils et nuancés.

Dans son désir de perfection, Paul décida de construire son siège comme un peintre compose son tableau. 

La commande était limpide, la Tsarine voulait tirer pamoison de la simple vue des décors, et Paul ne goûtant guère à la vulgarité dut chercher profond en lui pour concilier symbole et sexe exacerbé.

Se référant à d’antiques ouvrages, il pensa que des Satyres au phalus toujours droit se chargeraient du rôle qu’il avait dû tenir lui-même, et à cette idée, il se sentit rougir.

Deux boucs au torse d’homme et aux pieds fourchus honoreraient deux filles dont l’une, femme s’il en est, devait être sa Reine, fière et rayonnante.

Elle serait sur le dos, allongée nue, dégustant sa jouissance, abandonnée à l’insoupçonnée délicatesse du Satyre, qui la saisit entre pouce et majeur en ce qu’elle a d’érectile comme le mâle, son clitoris.

Paul dessinait rapidement, le trône prenait forme.

Les principaux éléments de son architecture se voyaient attribuer tel ou tel ornement.

Satyres et femmes seraient les accotoirs, le dossier haut et large orné d’un fronton allait donner le ton : la domination serait clairement féminine et la métaphore du sexe que l’on savoure allait prendre corps dans ce morceau de bois.

 

« Du noyer, pensa-t-il, c’est l’essence qui convient ! »

 

Le souvenir de la tsarine l’obsédait, omniprésente et volontaire, ne laissant que rarement l’initiative à son partenaire, elle dominait par goût plus que par instinct et ce choix lui conférait une profonde sensualité.

Paul se devait de traduire ce trait de caractère.

 

Au plus haut du siège, elle y serait en tête, goûtant à pleine bouche ce qu’elle préfère chez l’homme : son sexe pour autant qu’il soit fier et bien élevé.

 

Puis il se prit au jeu de la déclinaison.

 

A l’entour du fronton, des ressauts de moulure ornés en écoinçons, témoignant du multiple intérêt dont dispose la femme pour jouir au pluriel, serviraient de maintien.

Il fallait près du siège où poseraient ses divins globes honorer ses atours, et Paul se concentra sur la plus pénétrante façon d’en montrer l’appétit.

Ce furent de belles fesses qu’il choisit de sculpter, pourvues d’un long pénis flanqué de ses noix.

 

Ce bois qu’on nomme ceinture et qui soutient l’assise fut orné à son tour d’une femme grande ouverte, généreuse et offerte, prête à accueillir tout l’intérêt du mâle situé bien plus bas que la sus bien nommée.

 

Paul se régalait. 

Cette première esquisse l’avait enchanté et il laissa à la nuit le soin de mûrir son œuvre.

 

A l’aube du lendemain, la fraîcheur du matin l’obligea à allumer un feu pour chauffer ses doigts gourds en faisant sa toilette.

Il infusa une tisane et se décida à ouvrir les épais rideaux qui atténuaient le froid nocturne.

La lumière envahit l’atelier qui lui servait de chambre lorsqu’il travaillait tard.

 

Il redécouvrit ses dessins et annotations, rit aux éclats en voyant tous ces sexes, et pensa qu’il fallait une bonne dose de solides symboles pour étayer tout cela.

 

Il décida que le rectangle d’or donnerait la mesure à son architecture, et que l’impérial appétit se devait au triangle, symbole de féminité dominante du siège.

Il devait veiller à ce que tous ces sexes convergeassent vers la destination profonde du trône : la suggestion, la provocation optique et tactile, propre à activer et inciter la frénésie sexuelle chez quiconque devant y prendre place.

 

Il repensa l’architecture de sa construction, veilla à ce que la femme y eût tous les honneurs, ne donna aux Satyres qu’un rôle délicat, gagné du bout des doigts, contenant par eux-mêmes leurs fougueuses envies d’une main salvatrice.

 

La tsarine allongée dans un drap en hamac, simple et évocateur, se livrait à la vue sans pudeur ni retenue.

L’autre femme détournait son regard de la vue impériale, plus prude, préférant de l’arrière soutenir les assauts d’un Satyre versatile.

Elle masquait de sa main délicate et caressante le devant de son sexe à la vue générale.

 

Après quelques jours passés à ce plaisant labeur, Paul peaufina sa création ; la forme était plaisante et le détail évocateur.

Ses dessins parlaient haut et fort, mettant en valeur la délicate sensibilité des corps, rehaussés de couleur, et d’ombres subtiles.

 

Lorsqu’il se sentit prêt à rencontrer la  tsarine, Paul demanda audience.

L’idée de servir sa reine de tout son corps l’attirait tout autant que présenter son œuvre.

Un majordome pie le fit attendre dans un étrange boudoir.

Les murs étaient revêtus  de boiseries finement moulurées, rythmant la pièce de vastes panneaux tendus de tissu blanc, comme on dissimule à la vue des tableaux en cours de travail.

Il se risqua à soulever le coin d’une tenture et ne put  retenir un « oh ! » de surprise en découvrant des scènes esquissées de Satyres en rut culbutant leurs Sylphides aux humeurs bucoliques.

 

« Te voilà bien curieux  mon jeune ami ! »

 

Paul sursauta, s’empêtra dans le blanc drapé qui céda par le haut, affublant le jeune homme d’un suaire ridicule.

Catherine rit aux éclats, tira sur le tissu libérant son empoté d’artiste.

 

« Mais tu n’es même pas nu ?! 

- Votre Majesté je suis venu vous présenter mes dessins, et j’ai eu la curiosité de … 

- Dis-moi s’ils te plaisent, j’en serai rassurée ! 

- Ils sont assurément évocateurs et libres, mais un peu brut pour moi, risqua Paul. 

- Tu me parais aujourd’hui bien nigaud mon ami, je ne parle pas des fresques mais de tes œuvres ! Suis-moi ! »

 

Catherine le précéda et Paul reconnu la chambre attenante au boudoir. Elle désigna le lit et dit l’air inspiré :

 

«  Déroule ton papier, et nous verrons alors si le charme opère ! » 

 

Paul s’activa, trouva quelques précieux attributs impériaux pour maintenir ouverts ses dessins déroulés .

Catherine s’exclama :

 

«  Paul, je n’en attendais pas moins de l’un de tes talents et je compte encore plus sur le plus précieux d’entre eux pour me faire ressentir avec force relief ce qui sait aussi bien à plat charmer ma vue. »

 

La tsarine se dévêtit et fit mine de s’étendre sur les précieux dessins.

 

«  Majesté, cria Paul, ce sont les originaux ! 

– Alors protège-les à ton corps défendant. »

 

Il les protégea et dut argumenter pour chaque position, expliquer, persuader, faire sentir, insister, et, pour faire diversion, au bout de quelques heures, ruisselant, épuisé, il risqua :

 

« Je me suis imagé en jouissance avec vous, majesté, vous donnant le plaisir où je le sais mandé.

- Jeune présomptueux, même aux jeux de l’amour la noblesse fait loi, et sache que si j’avais voulu qu’à l’autre bout de ton bel attribut il y ait ton visage, tu serais déjà Duc.

Tu aurais eu alors l’honneur de faire jouir ta reine aux yeux de tous.

Mais je ne suis pas ingrate et vais cependant, pour récompenser ton art et retendre ton ego, te réserver, de paire avec cet or, un emplacement que beaucoup t’envierons, d’où tu pourras à loisir me humer la coquille.

Toi seul la saura mienne, mais de ton visage, les traits reconnaissants se liront aisément, et je savoure déjà la frissonnante idée de t’avoir sous mes fesses, la langue bien pendue. »

 

À cet instant, Paul dont seules les pommettes n’était pas encore embrasées, s’empourpra comme les laves brûlantes du Klyouchevkoye dans le lointain Kamtchatka.

 

Paul rentra chez lui, soulagé de ne pas être devenu noble Duc car il en était sûr, c’était du sculpteur dont sa Tsarine aimait la compagnie et le talent.

Le défi artistique et technique qu’il avait accepté l’enchantait et la perspective de fouiller le bois de noyer pour y retrouver sa muse lui donnait des frissons d’aise.

 

Il se mit au travail, l’histoire attendait.

 

Au sein de la Manufacture HENRYOT & CIE,

un inhabituel bouillonnement vint secouer ce monde d’artisans perfectionnistes.

Le P.D.G. Dominique Roitel avait découvert par hasard un livre évoquant le mobilier du cabinet secret de la sulfureuse Catherine La Grande, amie de Voltaire, Tsarine de toutes les Russies dans la deuxième moitié du XVIIIème  siècle. 

Les quelques photos datant de la seconde guerre mondiale suffirent à aiguiser son appétit d’extraordinaire.

 

Il eut l’immédiate envie de reconstituer ce patrimoine disparu, un défi à la hauteur de sa manufacture car la Tsarine Catherine II faisait appel aux artisans les plus talentueux de son vaste empire.

 

Dominique Roitel demanda au sculpteur designer Jean-Marc Tournois d’en reconstituer les éléments en collaboration avec la manufa cture.

 

Après en avoir recréé proportions et motifs, retrouvé la symbolique et la méthode de construction, ils décidèrent une réinterprétation des architectures pour redimensionner les fauteuils.

Plans et dessins matérialisèrent ces recherches.

 

Une aide aussi inattendue que décisive et bienveillante fut celle du cinéaste Peter Woditsch grâce à son film «  Le secret perdu de Catherine La Grande. »

 

 

 

Prenez place dans l’imaginaire raffiné de Catherine de Russie !